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ENTRETIEN. Incidents au Stade de France : Le gouvernement s’enferme dans quelque chose d’absurde

ENTRETIEN. Incidents au Stade de France :  Le gouvernement s’enferme dans quelque chose d’absurde Mike Phillips Publié le 31- 05-2022 06 h 20 2

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ENTRETIEN. Incidents au Stade de France : Le gouvernement s’enferme dans quelque chose d’absurde

Après les incidents survenus au Stade de France en marge de la finale de la Ligue des champions entre Liverpool et le Real Madrid, le gouvernement a pointé du doigt la possession de faux billets en grand nombre parmi les supporters anglais. Pour Ronan Evain et Pierre Barthélémy, spécialistes des questions de supporters, ces accusations masquent une faillite organisationnelle d’envergure.

Trois jours après les incidents survenus en finale de Ligue des champions entre Liverpool et le Real Madrid (0-1), la polémique n’en finit plus d’enfler. Alors que le gouvernement français, à travers les prises de paroles du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et de la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, condamne le comportement des supporters de Liverpool aux abords du Stade de France, de nombreuses réactions pointent du doigt une organisation inadaptée et des forces de sécurité dépassées.


Ronan Evain, directeur général de l’association Football Supporters Europe (FSE) et en charge d’une mission pour un programme d’observation avec l’UEFA, et Pierre Barthélémy, avocat de plusieurs groupes de supporters français, étaient présents pendant les incidents. Joints, ils racontent la soirée, contestent les déclarations gouvernementales, et incriminent plutôt une organisation dépassée.


Comment réagissez-vous en entendant Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra évoquer les « 30 à 40 000 personnes présentes au Stade de France sans billet ou avec des billets falsifiés » ?


Pierre Barthélémy : On a le sentiment que le gouvernement s’enferme dans la mauvaise version donnée de manière précipitée samedi soir, sur Twitter, par les ministres. Mais il y a plusieurs éléments qui ne correspondent pas à cette version. Toutes les personnes sur le terrain, que ce soient des journalistes, des supporters ou des observateurs, n’ont absolument pas constaté 30 ou 40 000 personnes qui auraient erré autour du stade. Qu’il y en ait eu quelques centaines, peut-être, mais 30 à 40 000 c’est absolument impossible.



Par ailleurs, Gérald Darmanin a affirmé que 80 000 personnes s’étaient rendues au match en transport en commun, et 15 000 en autocar. Cela fait 95 000 personnes, et non 120 000. Il y a un trou dans son calcul, et il ne pourra pas expliquer que 25 000 personnes sont venues en voiture, parce qu’il n’y a pas la place pour 25 000 personnes dans le parking. Par ailleurs, il y a un certain de nombre de personnes qui ont emprunté les transports en commun pour se rendre à la fan zone du Real Madrid située juste derrière, et où le match était diffusé. On est donc loin de pouvoir décompter ces 30 ou 40 000 personnes.


Ronan Evain : Ces chiffres sont complètement fantaisistes. Le gouvernement a préféré aller vers une crise diplomatique avec l’Angleterre plutôt qu’une crise politique en France, mais il va avoir les deux. Il s’enferme dans quelque chose d’absurde.


Ces accusations teintées d’approximations masqueraient alors un problème de gestion de l’événement ?


PB : La justice n’a fait état d’aucune interpellation ni d’aucune garde à vue pour faux billets. S’il y en avait eu 30 ou 40 000, ce serait quand même étonnant qu’il n’en ait pas interpellé un ou deux. La ministre des Sports a dit « on a récupéré les faux billets, on a les preuves, on peut les montrer ». Qu’elle les montre : elle va peut-être montrer trois faux billets, mais elle ne va pas en montrer 30 ou 40 000.


RE : D’autant plus que le nombre de faux billets était infime et marginal. Les faux exemplaires que j’ai pu observer étaient complètement artisanaux, et leurs détenteurs ne sont absolument pas rentrés. Loin de la mafia des faux billets évoquée, et loin également du phénomène observé lors de la finale de Ligue des champions 2019 à Madrid.


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Quelles erreurs ont été faites dans l’approche de l’événement ?


RE : La principale erreur a été de considérer cette rencontre comme une rencontre à risque. Le Real Madrid et Liverpool s’étaient rencontrés en finale de la Ligue des champions 2018, à Kiev (Ukraine), sans qu’aucun débordement ne soit observé. La préfecture de police a jugé les supporters de Liverpool comme ceux d’il y a 40 ans. De menace injustement désignée, ils sont maintenant tenus comme responsables de manière complètement aberrante.


Ce sont pourtant les victimes d’un système défaillant, qui a contribué à leur déshumanisation. On les a laissés attendre près de deux heures sans eau, sans accès aux toilettes, on les a contraints à se masser dans des goulots d’étranglement, on les a aspergés de gaz lacrymogène… Le dispositif policier était complètement inadapté.


Maintenant, les autorités emploient les mêmes éléments de langage envers les supporters de Liverpool que ceux utilisés en 1989 au sujet de ces mêmes supporters (après la catastrophe de Hillsborough). De par leur mémoire collective, les supporters des Reds ont affiché une autogestion particulièrement remarquable, se montrant pour la plupart aussi calmes que possible. La situation n’aurait peut-être pas été la même si les supporters avaient été ceux d’un autre club que Liverpool.


Un dispositif inadapté aux perturbations du trafic des RER a également été pointé du doigt…


RE : Avec la grève du RER B, de nombreux supporters se sont dirigés vers le stade de France en empruntant le RER D, habituellement considéré comme un plan de circulation secondaire. Beaucoup de monde s’est ainsi retrouvé dans une position dangereuse, obligeant une concentration importante.


PB : À la sortie du RER D, personne n’a orienté les supporters de Liverpool. Il n’y avait ni panneaux, ni personnel. Ils se rendus droit devant, empruntant la première rampe d’accès, et se retrouvant ainsi à 20 ou 25 000 personnes bloquées sur trois postes de pré-filtrage. Dans le même temps, 150 mètres à l’est, dans l’axe du RER B, personne ne faisait la queue aux treize postes de pré-filtrage mis en place. Encore un peu plus loin, au niveau du McDonald’s, il y avait encore trois ou quatre files de pré-filtrage où il n’y avait personne.


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Comment aurait-on pu éviter cela ?


PB : Si on avait juste orienté les flux avec un peu de personnel ou des panneaux, on aurait réparti toute cette masse de personnes sur l’ensemble des dispositifs d’accès. On voit bien que côté Real Madrid, à la sortie du métro, il y avait une quinzaine de files de pré-filtrage, ce qui a permis d’écouler le flot de supporters.


Par ailleurs, un problème informatique a provoqué quelques attroupements : notamment au niveau des accès VIP et officiels entre 20 h 20 et 20 h 50, période au cours de laquelle les tourniquets ne marchaient plus – c’est à cause de cela que l’on a notamment pu voir Cyril Hanouna passer sous un tourniquet. Il y a donc eu ce gros créneau juste avant le coup d’envoi théorique, où de nombreuses personnes ne pouvaient plus scanner leur billet.


RE : Autant tout ce qu’il s’est passé n’était pas prévisible, autant les risques étaient connus, mais ont été ignorés. Le dispositif n’étant pas adapté, occasionnant ainsi une congestion, une absence de redirection, mais aussi la présence en nombre de jeunes locaux.


PB : Contrairement à ce qui a pu être dit par récupération politique, ce n’est pas la police qui s’est ratée. La police, en elle-même, a plutôt bien géré la situation, il n’y a pas eu d’affrontement ni de vrai trouble à l’ordre public comme on peut avoir lors d’autres rencontres sportives ou dans des manifestations plus globales. C’est surtout un sujet organisationnel de gestion des flux autour des grands événements sportifs.


Qui sont les personnes ayant tenté de pénétrer dans l’enceinte du Stade de France ?


PB : Comme tous les supporters étaient agglutinés sur le même point de pré-filtrage, la police a entrepris l’idée utile de supprimer ce point de pré-filtrage pour limiter la forte congestion. Sans ce premier point, les supporters n’ayant pas de billets peuvent accéder au périmètre du stade. Et c’est là qu’arrive – probablement, même si on n’en a pas vu beaucoup – une partie de supporters de Liverpool, mais surtout des groupes de jeunes locaux passionnés de foot, n’ayant pas eu les moyens de se procurer un billet, et souhaitant assister au match.


RE : Beaucoup de gens ont essayé de forcer les points de passage, mais relativement peu ont essayé d’escalader, contrairement à ce qui a pu être dit. Les barrières mesurant plus de trois mètres de haut, les escalader nécessitait d’être vraiment sportif et en forme. Ce qui n’était pas forcément le cas de tous les supporters de Liverpool, qui venaient de passer la journée debout à Paris, en étant pour certains alcoolisés.


Que va-t-il advenir des 2 700 personnes munies d’un ticket n’ayant pas pu assister à la rencontre, selon les propos d’Amélie Oudéa-Castéra ?


PB : Ce chiffre est vraiment à questionner. Comme le système informatique a planté, les stadiers ont laissé passer beaucoup de monde sans pouvoir scanner leur billet. Il est donc fort possible que sur ces 2 700 personnes, la plupart aient assisté au match. C’est donc possible qu’il n’y ait jamais de réclamation. Il y a donc énormément de points à clarifier, de chiffres lancés à la volée dont la fiabilité doit être contrôlée.


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Est-ce inquiétant à l’approche de la Coupe du monde de rugby en 2023, puis des Jeux olympiques de Paris en 2024, d’assister à une telle faillite organisationnelle ?


PB : Je pense qu’il y a eu une accumulation de petits ratés. Cela aurait été très différent avec cinq personnes en plus à chaque sortie du RER. Si on veut vraiment faire une autocritique, ce sont des choses qui se corrigent très facilement. Je ne pense qu’il y avait réellement matière à s’inquiéter.

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